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ORPHÉE EST-IL VÉRITABLEMENT UN HOMME ? La réponse grecque : l’efféminé versus l’initiateur des hommes

Fabienne Jourdan

Résumé


Platon détracte Orphée comme un efféminé. À la fin du IIe siècle après J.-C., Clément d’Alexandrie disqualifie le citharède comme un homme qui ne mérite pas le titre d’homme. Ces deux réquisitoires semblent faire allusion à la pédérastie légendaire du personnage qu’ils dénoncent pour des raisons distinctes. Visant avant tout la lâcheté d’Orphée, le premier emprunte peut-être l’image d’un rôle passif déplacé dans le cadre bien défini de la pédérastie attique à vocation initiatique afin de dénoncer la passivité du poète. Le second condamne quant à lui la relation sexuelle avec un autre homme au nom de la morale chrétienne. Malgré le sens inévitablement différent de leurs reproches, étant donné les contextes culturels et spirituels qui les séparent, ils émettent tous deux un grief commun à l’encontre d’Orphée : ne pas assumer les qualités qui font un homme véritable (un citoyen mâle), et, plus précisément, ne pas jouer le rôle d’éducateur. Or cette condamnation est loin de faire l’unanimité dans la tradition grecque. Lorsque celle-ci évoque Orphée auprès des seuls hommes, elle ne dénonce pas en lui un pédéraste qui manquerait à ses devoirs masculins (tels qu’elle les conçoit). Qu’elles fassent ou non allusion à une relation pédérastique, de telles évocations présentent au contraire le citharède comme un homme et éducateur accompli : l’initiateur des autres mâles. Cette image nous est d’abord transmise par Phanoclès, dans le cadre de la poésie hellénistique, qui joue sur le schéma de l’inversion pour mettre en valeur la puissance masculine. Elle est confirmée par les relations de Conon et Pausanias qui rapportent les traditions de Macédoine et de Thrace. Que leurs récits rendent compte de légendes véritablement anciennes et locales, qu’ils enregistrent les propos d’indigènes ayant eux-mêmes adapté la figure d’Orphée à leurs propres traditions, ou enfin qu’ils constituent une traductio graeca des légendes qu’ils relatent, ils transmettent l’image d’un Orphée dont ni la masculinité ni le rôle d’éducateur ou de formateur ne sont mis en doute : ils suggèrent au contraire que le citharède est perçu comme l’initiateur des hommes et peut-être plus précisément des hommes en armes. Après l’examen de la critique de Platon à l’encontre d’Orphée, nous montrerons ainsi comment, loin de transmettre l’image d’un individu efféminé dépourvu de rôle éducateur, ces trois témoignages font au contraire d’Orphée l’initiateur des autres hommes. 


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